Des scènes de liesse et des éloges ont suivi l’évènement le plus marquant dans l’histoire des Comores de ces deux dernières décennies. Un projet ambitieux long de sept ans a porté les Cœlacanthes à la Coupe d’Afrique des Nations. La plus grande compétition sportive du continent. En décrochant cette qualification, ils ont sans aucun doute écrit la plus belle page du football comorien. Un succès qui occulte l’autre réalité du football du pays.
Les Comores à la CAN, un rêve de gosse
Comme à son habitude, le soleil était au rendez-vous à Mitsamiouli ce samedi 17 novembre 2007. Muni de mon billet, j’assiste aux cotés de mon père à mon tout premier match des Cœlacanthes au Stade Saïd Mohamed Cheikh. Malgré la défaite, ce fût un moment mémorable pour le collégien que j’étais dont le foot a bercé tout mon enfance. La joie fût encore immense treize années plus tard quand l’équipe à laquelle j’ai toujours voué tout mon amour, a décroché pour la première fois de son histoire sa qualification pour la CAN. « Nous existons désormais », me suis-je dit en pensant à toutes ces générations qui ont bataillé des années et mouillé le maillot pour en arriver là. À ces enfants qui rêvaient sans cesse de ce jour, à nos aînés qui nous ont fait aimer cette équipe.
J’ai passé beaucoup de temps pour m’en rendre compte de l’exploit du 25 mars dernier. Dans ma tête, la fête a durée plusieurs semaines jusqu’à ce qu’une petite voix me murmure à l’oreille à propos de mon emballement. Je me suis alors souvenu de toutes ces sélections africaines qui brillent à l’international mais dont le niveau du football de leurs pays dépasse à peine celui du mien. Je me suis souvenu aussi de ces dirigeants de fédérations ou ses présidents de pays, souvent autoritaires, utilisant l’équipe nationale pour vanter la bonne santé de leur football. Est-ce bien cela ce qui va bientôt caractériser le football de mon pays ?
L’arbre qui cache la forêt !
Le potentiel économique naturel de l’archipel des Comores (2 236 km2) est le même que Maurice (2 040 km2) ou Seychelles (455 km2). Pourtant, mon archipel demeure le plus pauvre des trois et de loin. Pour ma génération, le football reste la seule chose qui procure de la joie à une population en précarité, lésée une quarantaine d’années par sa classe politique. Une qualification à la CAN est un moment de liesse populaire, de fierté et d’allégresse. C’est aussi un moment de faiblesse où certains profitent pour détourner l’attention. Un trompe-l’œil ou plutôt souvent l’arbre qui cache la forêt. Le football dans un pays est plus qu’un sport. Un facteur d’unité, parfois un outil de pouvoir et d’influence. Le football a longtemps servi de propagande et de diversion par exemple pour le maréchal Mobutu Sese Seko du Zaïre (actuel RD Congo). La même stratégie s’opère encore dans certains pays africains. Au sein même de certaines fédérations de foot, la réalité du football du pays est camouflée à travers les résultats de l’équipe nationale.
À l’exemple d’un Sénégal ou d’un Cameroun dont le football repose seulement sur leurs Lions respectifs, les Comores n’échappent pas à cette triste réalité. Le schéma reste le même toute proportion gardée. Une équipe nationale composée majoritairement de binationaux et d’expatriés qui brille à l’international mais dont le football local peine à se faire une place dans la scène africaine. Il est donc prématuré et trompeur de tirer des conclusions trop hâtives après notre qualification historique pour la CAN. L’expression du genre « le football comorien a progressé ou se porte mieux » n’est pas totalement vrai. Le football comorien ne se résume pas à son équipe nationale. C’est comme dire que le football sénégalais est le meilleur d’Afrique parce que les Lions de la Teranga sont premiers au classement FIFA en Afrique. La réalité en est tout autre.
L’absence de politique de développement du football local
Les Comores en coupes d’Afrique interclubs c’est 41 rencontres pour 3 victoires, 11 matchs nuls et 27 défaites. En quinze ans de participation, aucun club comorien n’a pu franchir le premier palier d’un tour préliminaire de Champions League ou de Confederation Cup. Tels sont les éléments qui caractérisent le niveau du football comorien. L’organisation du Championnat des Comores n’a pas eu de changements significatifs depuis sa première édition en 1979. Une organisation en deux phases (régionale & nationale) qui n’est pas compatible avec une meilleure compétitivité des équipes. Le projet d’un championnat en une seule phase nationale traine encore dans les tiroirs de la fédération depuis une dizaine d’années. Officiellement par manque de moyens sans pour autant qu’il y ait eu au préalable une étude de faisabilité.
Au total, 30 équipes participent à la Phase Régionale du championnat de première division. Douze dans l’île Ngazidja, dix à Ndzuani et huit à Mwali. Les Comores sont peut-être le seul pays au monde ayant autant de clubs dans son championnat élite. La Phase Nationale ne regroupe quant à elle que seulement trois équipes dans un mini-championnat en l’espace d’une semaine. Mais tout ne s’explique pas qu’avec cette mode d’organisation. L’absence d’une politique pour la formation de base et des éducateurs qualifiés sont aussi des éléments à prendre en compte. La Licence B CAF n’est détenue que par un seul éducateur local. Le seul centre de formation qui existait sur tout le territoire a fermé ses portes en 2017. Un projet de réouverture et de rénovation du site est en cours d’étude pour l’année prochaine.
Manque d’infrastructures
Ce manque de résultats et cette organisation très amateur reflètent pourtant le pays dans son ensemble. Et pas seulement que dans le football. Un pays regorgeant de jeunes talents mais dépourvu des infrastructures adéquates pour s’épanouir. Un pays et des institutions qui pratiquent encore la politique de l’immédiat. Les ministres des sports se succèdent et les belles paroles n’en finissent pas de faire dormir débout la population. L’absence d’une politique nationale des sports laisse place à un désert infrastructurel sans égal dans la sous-région. Faisant de notre pays le seul à n’avoir jamais accueilli par exemple les Jeux des îles de l’Océan Indien (JIOI). Enchaînant les échecs auprès du Conseil International des Jeux (CIJ) pour insuffisance de garanties sur les projets et manquement sur les dossiers de candidature.
De ce vide, le football fait peut-être exception. Une petite oasis dans un désert. La discipline dispose désormais de 6 terrains praticables. Un aux normes internationales, trois moyennement acceptables et deux qui ne disposent que seulement une pelouse synthétique sans rien d’autres. Ni de vestiaires n’en parlons plus de tribunes. Pour rattraper ce retard, une idée lunaire d’un autre temps est sur le point d’être mise en exécution par la fédération. Sur un raisonnement basé sur la cherté de la pose d’une pelouse synthétique, la nouvelle administration prévoit d’utiliser les fonds FIFA Forward pour aménager une dizaine de terrains en terre battue en 4 ans au lieu de 2 ou 3 avec une pelouse synthétique sur la même période. Des terrains en terre battue dans un pays aussi pluvieux que le nôtre.
Toute l’attention sur les Cœlacanthes A « Hommes »
À défaut de développer le football localement, les Comores misent tout sur sa diaspora pour briller à l’international. Des jeunes formés et évoluant hors du pays pour porter haut ses couleurs à travers l’équipe nationale A. Il fallait suivre le ballet médiatique du staff technique des Cœlacanthes et de la fédération sur les joueurs qui étaient bloqués en France pour s’en rendre compte. Bien que sur le fond il était nécessaire de réclamer le même traitement pour tous les internationaux, la question a en outre démontré la forte dépendance des sélections africaines sur les joueurs évoluant en Europe. À des exceptions près, le développement du football sur le continent et la formation de base ne font pas partie des priorités immédiates des fédérations africaines. Le football comorien en est l’archétype idéale de ce phénomène.
Cette attention particulière portée aux Cœlacanthes A relègue systématiquement les autres équipes nationales des Comores en bas de l’échelle. L’équipe nationale locale A’ qui prend part au CHAN est l’exemple parfait de cette indifférence. Pourtant ses résultats sont pris en compte au Classement FIFA. L’équipe ne dispose pas de staff technique stable et bien défini. Le staff technique des A ne s’occupe ni n’apporte assistance à cette dernière. En janvier, le Manager Général et le Team Manager des Cœlacanthes ont effectué un séjour de travail de 5 jours dans le pays sans que l’équipe nationale A’ soit au menu. Une équipe qui doit en théorie prendre part à la Cosafa Cup et l’Arab Cup of Nations de la FIFA fin de cette année. Pareille pour les équipes de jeunes et les équipes féminines qui ne sont actives qu’une fois par an à l’occasion d’une Cosafa Cup de leurs catégories respectives.
L’espoir fait vivre
Un schéma classique du football africain. D’un côté une équipe nationale A bien structurée et de l’autre, le reste des équipes nationales et le championnat local dont les sorts ne préoccupent personne. Et en écouter certains surfer sur la qualification des Cœlacanthes, tout va bien dans le meilleur des mondes. Rêveur, je continue malgré tout à croire qu’un jour les entrailles du Karthala nous offriront de l’Or à la place des laves. Chaque jour à l’aube, les yeux vers les étoiles, contemplant ce seigneur de Wahani dans toute sa magnificence. Espérant que le ciel se rappelle encore une fois de ce petit coin du monde où la population garde éternellement l’espoir d’un futur meilleur. Comme le dit le proverbe, « Twamaya ya mkana moyo kaihisa ».
Articles similaires
Fondateur et Rédacteur en chef de Comoros Football 269. Un passionné de football africain et un éternel fan de Young Africans (Yanga). Entre le Taarab qui l'inspire et d’être possédé au moindre lyrics d'un Igwadu, il demeure au moins un Makua de culture Swahili.