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Adelaïd Ali Mohamed : « L’arbitrage comorien n’est pas assez valorisé »

Figure emblématique de l’arbitrage comorien, Adelaïd Ali Mohamed (36 ans) était l’invité de la plateforme Comores Presse Sportive. L’arbitre central international FIFA a répondu samedi aux questions de Comoros Football 269 et l’ensemble de la presse sportive comorienne.

Gendarme de profession, Adelaïd Ali Mohamed, Dalma pour les intimes, est un officier de la Brigade judiciaire de Moroni. Le natif de Mutsamudu se distingue aujourd’hui comme le meilleur sifflet de l’archipel en exercice. Il évoque avec nous, entre autres, ses débuts à l’international en 2009, l’évolution de l’arbitrage comorien, ses difficultés et sa vision sur l’avenir de son deuxième métier.

International FIFA depuis janvier 2009, comment avez-vous vécu vos débuts à l’international ? Quel est aujourd’hui votre regard sur l’exercice de ce métier après 11 ans de parcours sous l’étiquette FIFA ?

Adelaïd Ali Mohamed : Ils étaient franchement difficiles. J’étais un peu mou et pas très bien préparé moralement à officier de telles rencontres. J’avais l’impression de ne pas avoir été à la hauteur lors de mon premier match international. Il m’a fallu du temps pour bien maîtriser mes matchs. Après, je suis satisfait de ce que j’ai pu accomplir jusqu’à présent. J’ai officié dans presque les grandes compétitions africaines. Des compétitions interclubs de la CAF, Cosafa, CAN U17 jusqu’à récemment la CAN U23 en Egypte.

Pour les six ou sept ans de carrière internationale qu’il me reste, mon rêve reste d’officier au moins dans une CAN senior, une Coupe du monde (senior ou de jeunes, ndlr) ou dans des Jeux Olympiques. Ce sont les compétitions auxquelles je n’ai pas encore pris part. Je travaille régulièrement pour atteindre ces objectifs. J’éprouve toutefois quelques regrets. J’aurais pu y aller encore plus loin en accomplissant tout cela bien avant si j’avais eu un bon encadrement. C’est ce qui m’a le plus manqué dans ma carrière.

Je fais partie de cette première génération d’arbitres internationaux FIFA des Comores qui n’a pas eu la chance d’avoir un retour d’expérience d’anciens confrères. Tout ce que je souhaite est que notre relève ne connaisse pas les mêmes difficultés que nous. Ils auront en tout cas tout notre attention et notre expérience. Nous veillerons sur eux en prodiguant des conseils et si on nous donne l’occasion, de prendre en main leur l’encadrement.

Arbitre international FIFA, vous êtes aussi en même temps officier de la Gendarmerie Nationale. Comment vous arrivez à exercer ces deux métiers ?

Effectivement, je suis gendarme de formation et de métier. En même temps, j’ai aussi une passion qu’est l’arbitrage. J’ai la chance d’avoir des supérieurs qui sont des sportifs et qui connaissent les valeurs du sport et de l’arbitrage en particulier. Je n’ai donc pas eu de difficultés pour me lancer en tant qu’arbitre. À chaque que fois que je reçois une invitation de la fédération ou de la FIFA/CAF, on me donne automatiquement l’autorisation à m’y rendre.

Le métier d’officier de la Brigade judiciaire que j’exerce est parfaitement compatible à l’arbitrage. Même si cela reste quelque part difficile d’un point de vue physique. Je passe beaucoup de temps sur des enquêtes, écoutes et rédaction de procès-verbaux qu’entretenir ma forme physique. Je suis obligé de m’entraîner tard la nuit dans la rue, à l’INJS s’il est ouvert ou à des occasions au Stade de Moroni. Car au niveau de la CAF, l’arbitre doit avoir des très bonnes conditions physiques. Je n’aurai pas eu des difficultés à trouver du temps et où entretenir ma forme si je faisais partie par l’exemple de l’Escadron de la Gendarmerie Nationale.

L’arbitrage comorien fait parfois l’objet de critiques de la presse et des clubs pour des histoires de corruption au niveau local. Avez-vous déjà face à de telles accusations ? Comment jugez-vous ce phénomène ?

Il y aura toujours des critiques. Le sport et le football en particulier déchaînent les passions. Ce que je remarque toutefois est que la presse reprend ou publie des choses sans réaliser au préalable une enquête approfondie. Si l’on accuse un arbitre de corruption, il faut aussi apporter des preuves concrètes. Je ne dis pas qu’il n’y a pas parfois de la corruption dans l’arbitrage.

Toutefois, il ne faut pas se laisser mener en bateau. La corruption ne vient pas du corps arbitral mais des équipes. Il n’y aurait pas de corruption sans corrupteur, sans qu’un ou des dirigeants de clubs font tout pour influencer un confrère. S’il y a certains qui cèdent, la majeure partie d’entre nous garde leurs valeurs et leur foi en ce métier. Plusieurs dirigeants de clubs ont essayé personnellement de m’influencer. Mais j’ai des principes et des valeurs. Ce qu’il faudra à présent est qu’il y ait un moyen de saisir la commission d’éthique si un dirigeant tente de corrompre un officiel.

Ali Mohamed Adelaïd, arbitre central international FIFA
Le métier d’arbitre aux Comores n’est pas assez valorisé et nombreux de vos confrères évoquent des difficultés dans l’exercice de leurs fonctions. Qu’est-ce qui vous manque encore pour exercer pleinement et dans des bonnes conditions votre métier ?

Effectivement, l’arbitrage comorien n’est pas assez valorisé. Si l’on tient compte de ce qui se fait dans les autres pays africains et même dans la région, il y a un manque de considération. Il ne peut y avoir une évolution du football sans un très bon arbitrage. Et sur ce point, nous ne disposons pas des meilleures conditions de travail. S’il n’y a pas par exemple une bonne politique de formation d’arbitres, un encadrement régulier et des primes conséquents, il ne peut y avoir de football. Les primes d’ailleurs constituent une garantie et une barrière de lutte contre la corruption.

On a parfois honte quand des confrères étrangers nous demandent nos primes de matchs. Le prime d’un simple match localement est de l’ordre de 5 000 Kmf (10 euro) et 10 000 Kmf (20 euros) pour un match de phase nationale. On n’est même pas au prime minimum acceptable de 20 euros dans une rencontre régionale et de 50 euros en phase nationale. Chaque année, la fédération reçoit la somme de 50 000 dollars USD destinée au développement de l’arbitrage. Mais hélas, nous n’avons jamais entièrement bénéficié de cette subvention mis en place depuis 2008. C’est la triste réalité.

Il n’y a qu’en 2019 que l’ancien président Saïd Ali Saïd Athouman a décaissé 8 millions Kmf (18 000 dollars) pour le développement de l’arbitrage. On nous met seulement à disposition la formation d’actualisation MA / FIFA tous les ans, sans rien de plus. On n’avait pas aussi jusqu’à l’année dernière un département de l’arbitrage. Aucune politique de formation et d’encadrement n’est en place faute de moyens. Pourtant il existe une subvention spécialement dédiée.

Vous avez vu émerger Amaldine Soulaimana, un confrère qui a rapidement franchit plusieurs paliers importants depuis 2018 (CHAN 2018, Coupe du Monde U20, CAN 2019). Comment expliquer son évolution et ses atouts ?

On est tous les deux de la même promotion, celle de 2009. Nous avons eu presque le même parcours. On a officié ensemble dans plusieurs rencontres internationales. J’étais le premier à participer à une phase finale de compétitions de la CAF, avec la CAN U17 2013 au Maroc. Il m’a rejoint en Elite B en 2015 et sommes parties ensemble officier à la CAN U17 la même année. C’est là où nos routes ont pris deux directions différentes. J’avais eu quelques soucis d’ordre logistique durant ce tournoi qui m’ont coûté chers. J’avais à un moment perdu la confiance de la CAF. Pendant ce temps, Amaldine poursuivait naturellement son évolution. C’est un très bon arbitre plein de qualités. Sur les terrains et en dehors, c’est un très grand homme. Il a formé par exemple beaucoup d’arbitres assistants de sa région.

Certains de vos collègues ont été toujours performants à l’international. Mais sur place, ils ont toujours été contestés. Cela est dû au niveau du championnat local, au manque de sécurité financière ou autre chose ?

Il évident que le faible niveau du championnat local ne nous favorise pas. Au-delà de ce constat, les entraîneurs et dirigeants de clubs ne font pas l’effort de connaître les lois du jeu et les nouveaux amendements. La grande majorité des joueurs aussi ne connaissent pas les lois du jeu et leurs interprétations. Ici par exemple, les gens ont pris l’habitude que quand un arbitre assistant lève le drapeau il faut absolument siffler, sans chercher à savoir s’il s’est trompé ou pas. Les gens se sont aussi habitués à ce que dès que le ballon touche la main d’un joueur c’est une faute. Oubliant qu’il y a des conditions préalables avant de siffler une faute de main.

L’arbitrage comorien a un niveau au-dessus par rapport au championnat. Nous sommes constamment confrontés à des difficultés et des incompréhensions dans l’exercices de notre métier. Comment expliquer qu’on est irréprochables à l’international et contestés localement ? Sur ce point, ce n’est pas une question de sécurité financières mais de niveau. Les clubs ne sont pas fair-play. Il y a encore ce manque d’objectivité qu’en cas de défaite l’on indexe systématiquement l’arbitrage.

On retrouve souvent des violences dans les stades. Des rencontres qui virent parfois au désastre. Le corps arbitrage est souvent la cible d’attaques de supporters et même de joueurs. Comment décrire ce phénomène ? Vous vous sentez assez protégés par les lois et règlements du football comorien ?

Il est regrettable qu’il y ait encore de la violence dans les stades. Nous faisons malheureusement partie des victimes de ces agitations. Les commissions juridictionnelles de la fédération ne nous protègent pas. Nos procès-verbaux et rapports de matchs ne sont pas tenus en compte. Pour des raisons partisanes, les chargés de commissions n’ont pas de jurisprudence. Les drames se suivent et nous ne bénéficions pas d’assez de protections juridiques. A ne pas attendre le jour où personne ne voudra officier une rencontre pour des raisons de sécurité pour réagir. Sous condition d’avoir des instances intègres et professionnelles, un club dispose d’un droit de réserve s’il estime qu’un arbitre a commis une erreur ou coupable de corruption. On ne doit pas à chaque fois recourir à la violence. Les autorités régionales et fédérales doivent prendre leurs responsabilités.

Est-ce que les arbitres internationaux Comoriens sont déjà formés pour l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) ? Quelle est votre opinion sur l’utilisation de cette technologie ?

Ce n’est pas dans tous les pays africains où cette formation est dispensée. Ce sont seulement quelques pays comme l’Afrique du Sud ou le Maroc ayant des moyens qui le font. Nous autres, ceux qui ont eu la chance d’en bénéficier sont ceux qui ont été sélectionnés pour les stages et formations de la CAF dédiés à cela (Amaldine Soulaimana en fait partie, ndlr). La VAR (Video Assistant Referees) en soit est une bonne chose. Toutefois, l’arbitre ne doit pas à chaque fois en avoir recours. Il doit le réserver pour des situations très confuses ou importantes. Quand on n’a pas eu par exemple une bonne vision d’une action par suite d’un mauvais positionnement. Un tirage de maillot ou une faute de main dans la surface. Ces genres de situations ne sont pas si évidentes pour un arbitre. C’est avec des cas pareils où l’on peut avoir besoin de consulter la VAR.

Après maintenant 11 ans de carrière internationale, quel regard portez-vous sur l’arbitrage comorien au niveau local et à l’international ?

Il y a une bonne évolution de l’arbitrage comorien. Nous avons aujourd’hui le même niveau que nos confères du continent. Nous prenons part presque aux mêmes compétitions. Les autres pays ont évidemment une longueur d’avance par rapport à nous récemment affiliés à la FIFA en 2005. Nous sommes respectés par nos pairs et souvent félicités de ce que l’on accompli malgré nos faibles moyens financiers et le manque d’une bonne politique d’encadrement. On n’en a pas d’instructeurs de haut-niveau chez nous. Il faut que notre département puisse en bénéficier de moyens financiers suffisants pour l’organisation des formations et des stages pour tous. La fédération doit nous aider à bien préparer la relève. Aujourd’hui c’est une grande fierté pour moi de voir émerger le jeune Mohamed Athoumani. Un autre jeune Mohamed Abdou Mmadi (Bashegue) est aussi sur la bonne voie. Nous devons absolument les accompagner et encourager d’autre à nous rejoindre.

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