Stefano Cusin et ses Cœlacanthes, plus que jamais dans le vif du sujet. Leaders du groupe I des éliminatoires de la Coupe du Monde 2026, les Comores s’apprêtent à défier le Mali, demain, avant d’affronter le Tchad cinq jours plus tard à Berkane. Forts d’une qualification historique pour la CAN 2025, obtenue en novembre dernier, les Comoriens se retrouvent désormais face à un défi de taille : confirmer leur montée en puissance sur la scène africaine. Le sélectionneur italien s’est confié en conférence de presse sur ses choix, ses ambitions et l’évolution d’une équipe qui ne cesse de surprendre.
Félicitations, coach, pour cette qualification à la CAN 2025, obtenue en terminant en tête de votre groupe et en restant invaincu dans une poule relevée. La Fédération vous a-t-elle fixé de nouveaux objectifs à la tête de l’équipe nationale ?
Stefano Cusin : J’ai pris les rênes de cette équipe il y a plus ou moins un an et demi. Il faut se rappeler d’où l’on est parti, parce que, fondamentalement, pour se fixer des objectifs, il faut qu’ils soient toujours réalisables. L’objectif initial était donc de reconstruire une équipe, d’intégrer de jeunes joueurs et de nous qualifier pour la CAN. Pour l’instant, notre objectif est atteint. Il n’y a pas lieu d’en fixer d’autres, si ce n’est celui d’être compétitif à chaque rassemblement. C’est un travail qui ne s’arrête jamais, parce qu’on intègre de nouveaux joueurs tout en travaillant avec le groupe en place. Nous évoluons dans cette continuité.
Dans cette liste, on note l’arrivée d’un nouveau venu, Aboubacar Ali Abdallah. J’imagine que vous avez échangé avec lui. Quel est votre avis sur ses qualités footballistiques ? Qu’avez-vous ressenti lors de votre discussion avec le joueur ?
Je pense que c’est vraiment quelque chose de très important. C’est aussi le signe que quelque chose est en train de changer en Afrique, parce qu’on parle d’un joueur titulaire en équipe de France des moins de 19 ans qui choisit de venir défendre les couleurs des Comores. Je trouve que c’est super, parce que, généralement, c’est le genre de choix que les joueurs font à 25, 26 ou 27 ans, quand ils n’ont plus l’occasion d’évoluer avec l’équipe de France. Alors, ils se rabattent sur leur pays d’origine.
Là, c’est l’inverse : un jeune joueur talentueux avec un grand avenir. Il a 18 ans, et l’année dernière, il a quand même disputé 7 ou 8 matchs en première division avec Strasbourg. Actuellement, il est prêté en deuxième division au Portugal. C’est un jeune en qui je crois beaucoup, c’est un joueur de qualité. C’est dans cette optique que nous avons discuté avec lui pour le convaincre de venir, parce que notre objectif est de mettre sur pied une équipe qui pourra être compétitive dans les 7, 8, voire 10 prochaines années.
On note également le retour d’Adel Mahamoud
C’est un joueur qui a fait toute la préparation avec l’équipe première de Nantes en première division. C’est un jeune qui était là dès le début, quand j’ai pris les commandes de l’équipe, et qui revient de blessure. Je pense que c’était important, puisqu’il s’entraîne, a déjà joué des matchs avec la réserve et s’entraîne avec les professionnels. C’était essentiel qu’il réintègre le groupe, car c’est un jeune et il représente l’avenir.
Une liste des Cœlacanthes sans El Fardou Ben Mohamed, logiquement absent en raison de son manque de temps de jeu en club. Avez-vous récemment échangé avec lui ?
Ben, on n’a pas à le présenter, c’est un joueur charismatique. J’ai toujours cru en lui. D’ailleurs, quand je l’avais convoqué en juin dernier, il sortait d’une longue période sans jouer. J’avais été, on va dire, « critiqué » pour l’avoir pris, et pourtant, il avait quand même marqué deux buts lors des deux matchs. Nous sommes toujours en contact. Nous avons beaucoup échangé ces derniers mois et il est en lien avec notre staff médical, nos kinés et notre préparateur athlétique. Il sort d’une période sans jouer depuis janvier et ressent encore des douleurs au genou. Donc, nous avons convenu avec Ben qu’il n’aurait pas été correct de convoquer en équipe nationale un joueur considéré comme blessé par son club depuis trois mois.
Comment expliquer alors la présence de Faïz Mattoir, qui n’a plus joué avec Almere City depuis décembre dernier ?
Faïz devait être transféré à Boavista, au Portugal, mais, à la dernière minute, le transfert a échoué. L’entraîneur actuel pensait donc que Faïz ne resterait pas au club et a pris une autre direction. À partir du moment où le mercato s’est fermé et que le joueur est resté, il doit maintenant se battre pour récupérer sa place dans l’équipe. Mais c’est un joueur encore jeune, il n’a que 24 ans, avec une solide expérience. Je travaille avec lui sur le plan tactique. Lors des derniers matchs, il nous a beaucoup apporté, notamment contre la Gambie, où il a eu un rôle important. Et je pense que, dans une équipe nationale, il faut parfois renvoyer l’ascenseur à certains joueurs. Lui, il le mérite, par rapport à son âge, son parcours, ce qu’il a déjà donné et ce qu’il pourra encore apporter à l’avenir.
Un jeune joueur comme Kassim Hadji, en grande forme en Lituanie, dans le même club que Zahary, n’aurait-il pas mérité sa place ?
C’est un joueur que j’avais déjà appelé en équipe nationale. Il a pratiquement suivi toute la première partie du programme avec nous. À son poste, sur le côté droit, il y a des joueurs comme Faïz Selemani et Adel Mahamoud, qui sont de très bons joueurs. Il y a donc beaucoup de concurrence. Concernant son championnat, en Lituanie, la saison n’a pas encore commencé. Ils ont seulement disputé des matchs amicaux et un match de Supercoupe. Ce sont des paramètres qu’un entraîneur doit prendre en compte. Mais c’est un jeune joueur que nous suivons, il a des qualités, et je pense qu’il y a de fortes chances qu’il soit présent en juin. Pourquoi pas ? La porte n’est jamais fermée pour les bons joueurs. Nous avons une liste élargie de 30 à 35 joueurs, et il fait partie du groupe élargi de l’équipe nationale.
Toujours leaders du groupe I, les Comores sont désormais l’équipe à abattre. Comment appréhendez-vous la reprise des éliminatoires avec une telle pression ?
Il n’y a pas de pression à avoir. La pression est sur le Mali, qui occupe la 50ᵉ place mondiale et a 50 rangs d’avance sur nous au classement FIFA. Ce sont eux qui ont l’obligation de faire un résultat. Quand on est entraîneur, il faut être cohérent dans ce qu’on dit et dans ses choix. Depuis le début, j’ai toujours dit que nous utiliserions ces qualifications pour la Coupe du Monde afin de construire l’équipe et progresser. Nous n’avons disputé que quatre matchs, il est trop tôt pour parler de leadership. Si, dans trois ou quatre matchs, nous sommes toujours en tête, alors mon discours évoluera.
Pour l’instant, nous sommes encore dans une phase où l’équipe a besoin de jouer ensemble, de démontrer ses qualités. Il faut encore du temps pour travailler. Dans un club, les joueurs s’entraînent ensemble tous les jours. En sélection nationale, nous ne les voyons qu’une fois tous les trois ou quatre mois, et seulement pour quelques jours de travail. De plus, nous dépendons de leur état de forme et de leur état mental en club : certains luttent pour ne pas descendre, d’autres arrivent en fin de contrat. Lorsqu’ils rejoignent l’équipe nationale, ils ne sont donc pas toujours à 100 %. Nous allons aborder ces deux rencontres avec le maximum de sérénité, en donnant le meilleur de nous-mêmes. Ensuite, une fois le match terminé, nous regarderons le résultat. Mais pour moi, dans cette phase du projet, l’essentiel reste la prestation.
Le Mali, invaincu depuis l’arrivée du sélectionneur Tom Saintfiet en août dernier, compte plusieurs grands noms dans ses rangs. Comment abordez-vous cette rencontre, qui pourrait se jouer sur des détails ?
Le Mali, c’est de grandes individualités. Il n’y a pas besoin de les présenter : ce sont des joueurs comme Bissouma, qui joue à Tottenham, ou El Bilal Touré, qui était à l’Atalanta. Ce sont des joueurs importants, capables de faire la différence à tout moment. Mais nous aussi, on a des joueurs qui peuvent faire la différence à tout moment. Je pense donc que la stratégie que nous allons adopter est claire. Nous avons déjà commencé le travail avec les joueurs. Et l’essentiel, c’est qu’à la fin du match, nous puissions dire que nous avons tout donné, que nous n’avons rien à nous reprocher. Voilà, c’est ça l’important.
Après, dans le football, tout peut arriver. Mais je pense que c’est le genre de match où les joueurs doivent prendre du plaisir. Parce que c’est un match de Coupe du monde, et qu’avant le début des qualifications, l’équipe n’avait jamais gagné, pas même un seul match de qualification. Donc, affronter ce type d’adversaire, je trouve que c’est une très bonne chose.
Avec, en ligne de mire, la phase finale de la CAN 2025, vous allez affronter cette même équipe du Mali à trois reprises cette année. Est-ce une opportunité idéale pour mieux la connaître ?
On a l’ambition de construire une belle équipe des Comores, et c’est à travers ce genre de match que l’on peut comprendre où l’on doit s’améliorer, analyser nos forces et nos faiblesses. C’est un test pour nous, donc c’est fondamental. C’est vrai que nous allons les affronter trois fois, mais ce ne sera pas dans les mêmes contextes. La double confrontation pour la Coupe du Monde n’a rien à voir avec un match à élimination directe en Coupe d’Afrique des Nations. Ce sont des moments complètement différents. Comme pour une équipe de club au cours d’une saison, elle n’est pas la même en février-mars qu’en mai-juin ou en septembre. C’est la même logique que l’on applique à une équipe nationale. Chaque match représente un enjeu différent, un contexte différent, un moment différent. Donc, nous n’allons pas trop faire de calculs. Nous allons les affronter match par match et nous verrons, à la fin, ce qui se passera.
Vous maintenez votre philosophie en intégrant régulièrement de nouveaux éléments, mais plusieurs joueurs restent encore à convaincre. Avez-vous eu des échanges avec eux ?
On a échangé avec tous les joueurs. S’ils ne sont pas là, il y a des raisons. Maintenant, il ne serait pas professionnel de ma part de dévoiler les motifs de chacun, car les contextes et les moments sont différents. Personnellement, je trouve ingrat de toujours réclamer de nouveaux joueurs dans une équipe qui a terminé première de son groupe lors des qualifications pour la CAN et qui enchaîne les bons résultats et prestations. Je pense qu’il faut avant tout respecter ces joueurs-là. Nous ne sommes pas en position de supplier ou de nous agenouiller devant qui que ce soit. Je ne peux pas garantir à un joueur qu’il sera titulaire à chaque match, qu’il portera le numéro 10 ou qu’il sera capitaine. Ce n’est pas possible.
À un moment donné, il faut respecter l’équipe nationale. C’est une question importante, même pour chaque Comorien. L’essentiel n’est pas d’avoir de grands noms évoluant dans les meilleurs clubs, mais de vrais grands joueurs, même s’ils jouent en Ligue 2 ou en National, à condition qu’ils aient du cœur. Pour moi, c’est bien plus important qu’un simple contrat dans un grand club. Sachez que j’ai contacté tous les joueurs susceptibles d’intégrer l’équipe nationale. J’ai même rencontré personnellement beaucoup d’entre eux. S’ils ne sont pas là, c’est que ce n’est pas le bon moment ou qu’ils ne sont pas convaincus mentalement.
Propos rassemblés avec Nassuif Abdallah.
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Fondateur et Rédacteur en chef de Comoros Football 269. Un passionné de football africain et un éternel fan de Young Africans (Yanga). Entre le Taarab qui l'inspire et d’être possédé au moindre lyrics d'un Igwadu, il demeure au moins un Makua de culture Swahili.
